Silencieusement vient la nuit

Ce qui nous sépare du monde végétal est le temps ou plutôt le tempo.

Le tempo est une valeur. Il est une unité qui désigne à la fois une durée et un mouvement.  Notre pouls est à lui seul un métronome. Impatient. Il active notre vie au rythme des secondes quand les plantes s’accordent sur la durée des jours et des nuits.

Avez-vous déjà entendu une fleur se déployer ? L’avez-vous déjà  vue ouvrir un à un ses pétales délicats ? Comment pouvons-nous percevoir le changement de leur apparence ? Le métabolisme d’une fleur est lent. Chaque modification si infime soit-elle n’est visible qu’en détournant notre regard.  Cet espace-temps nous permet d’apprécier leur évolution.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel est le lien entre la croissance d’une fleur et  l’univers sonore de ce qui va suivre ? 

Vous allez comprendre. Avant la mélodie, le tempo prédomine. Leur musique fait penser à un art martial pratiqué dans sa forme zen, prônant le mouvement juste, la respiration précise. Les mouvements continus s’enchaînent dans  la plus grande douceur, sans à-coups dans un ordre préétabli. Le tempo est alors mouvement. Il  est une respiration du corps, une respiration du geste. Il est une danse qui occupe l’espace. Corps et graphie. Ainsi le mouvement est décomposé. La gestuelle est lente. Elle s’épanouit le plus doucement possible dans  l’instant.

La musique se voit. Elle est comme un tableau abstrait. Immense. En peinture, il est également question de rythme.  Le tempo des pigments se superpose et crée une dynamique.  Hypnotisés, vos yeux sont séduits par la musicalité des rivages imaginés par un peintre inspiré. 

Fragments – Huile sur toile

 

 

 

 

 

 

 

 

La musicalité est comme la lumière qui danse, celle avec laquelle le photographe s’amuse, celle qui fait naître les bokeh. 

A l’orée d’un crépuscule salutaire, « Bei rosarotem Licht » autrement dit « Dans la lumière rose » , est à lui seul un morceau  sublime. Il s’écoute comme une fleur que l’on voit s’épanouir. Ce morceau précisément, je ne saurai vous dire le nombre d’écoutes. Dans des contextes différents, il retient  chaque fois  mon attention. Grâce à lui, j’ai découvert l’univers  de ce groupe germanique.  

Aux confins des sonorités profondes du jazz,  les tessitures  basses des instruments dominent. Elles murmurent un autre ailleurs, un autre territoire, une autre réalité.

L’album Piano Nights sorti en  2014 se définit par une invocation enveloppante sur seize morceaux. L’atmosphère est langoureuse, suave, délicate.

Issue du metal et de la scène hardcore, le groupe se retrouve tout à l’opposé du tempo si caractéristique dont ils sont issus. La formation a dévié vers une ambiance de jazz sombre, dark-jazz  caractérisée surtout par un tempo lent qui se déploie telle une fleur, à son rythme.  Piano Nights est le huitième album du groupe allemand. L’ambiance est vaporeuse tout en étant chaleureuse. Chacun des instruments, des cordes au piano en passant par les vents semblent sonner au ralenti. Et pourtant, l’atmosphère n’est ni léthargique ni apathique. La dynamique est tout autre.

La progression de l’écoute s’amorce en espalier. La lumière est feutrée tout en étant éclatante, limpide. Elle évoque une ombre douce, continue, tamisée.  Elle révèle un noir discret et étincelant à la façon de certains minéraux qui ont cette faculté élégante de rayonner simplement par le simple fait d’exister. L’atmosphère n’est pas triste.  Le groupe adopte un style à la fois minimaliste et atmosphérique, proche de l’ ambient. Pourtant, il s’agit bien de jazz dans une forme expérimentale. 

La construction apparemment répétitive des morceaux est illusoire. Paisible.

Parmi les instruments qui me touchent, le saxophone tient et a une place à part.  La qualité du timbre de cet instrument est proche de la voix humaine. Au delà du tempo volontairement lent, le  saxophoniste Christoph Clöser laisse infuser les notes tranquillement comme pour mieux en apprécier leur parfum, en extraire leur tanin.  Leur résonance est naturelle.  

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans « Ganz leise kommt die Nacht » autrement dit « Silencieusement vient la nuit » , les notes jouées au saxophone sont perçues ici telles des soupirs d’une beauté à la fois enivrante, contemplative, solennelle.   

 

Boren & Der Club of Gore – Ganz leise kommt die Nacht

Ces morceaux sont une balade tranquille dans un autre espace-temps agissant en trompe-l’oeil.  Le temps d’une nuit, le temps d’un jour, l’écoute est contemplative.

Cette pause est un intermède salutaire. Il ressemble au temps vécu en vacances où le rythme du quotidien change comme pour mieux apprécier chaque instant.  Le métabolisme de la fleur tourne au ralenti.  Elle est à elle-seule un assemblage complexe un peu comme celui d’un musicien développant des variations à partir d’une mélodie. 

L’écoute intégrale de l’album « Piano Nights »  s’apparente à une plongée nocturne à la fois reposante, introspective. Ce huis-clos instrumental est une expérience secrète. 

Membres du groupe Boren & Der Club of Gore :

  • Thorsten Benning : batterie
  • Christoph Clöser :  saxophone, piano
  • Morten Gass : piano
  • Robin Rodenberg : contrebasse

 

 

 

Charlotte | Bokeh Me Not

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