Un autre rivage

Chers lecteurs, l’image précède le son. Le voyage est intérieur. Il est introspectif, expressif. Ce qui suit est un univers sonore à part. Il a été conçu comme une œuvre d’abord visuelle. C’est un soupir pas une complainte.

Les atmosphères se déroulent, se confondent,  la matière posée par superposition règne en maître.

L’univers de Clarice Jensen, violoncelliste américaine ne  ressemble pas à une bande sonore. Elle nous propose un voyage immersif entre musique classique et ambient, entre inspiration résolument contemporaine et  pleinement expérimentale.

Un funambule prête l’oreille, le son est son fil d’Ariane, un guide pour ne pas tomber. Lentement, pas à pas, on retient notre souffle.  La musicalité des notes basses est ensorcelante, inspirante, vibrante, ténébreuse. Une mélopée à la fois douce, langoureuse, profonde saisit.

A l’écoute, on a l’impression de percevoir plusieurs instruments. En fait, Clarice Jensen explore tout ce que le violoncelle peut offrir. Elle multiplie les pistes, chacune jouée par elle-même au violoncelle, qu’elle superpose grâce aux pédales d’effets. Elle expérimente la palette des sons, comme  un peintre le ferait en utilisant une même couleur issue d’un même pigment. Selon la manière avec laquelle il  poserait  l’huile sur la toile, l’aspect, la texture, la brillance  serait différente. L’ensemble donnerait une autre lecture.

Jensen explore inlassablement les harmoniques du violoncelle. Elle s’amuse avec les sonorités. Les plages sont lentes, s’étirent en longueur le plus lentement possible. Jensen cherche  à ne faire qu’un avec l’instrument, à la façon d’un soliste.

L’écoute peut être déroutante, inconfortable. Pourtant, on perçoit toute la beauté des sonorités graves des cordes frottées, toute la beauté du son si particulier du violoncelle. La tessiture de cet instrument est avec celle du saxophone, la plus proche de la voix humaine.

Le premier morceau « BC » se concentre sur la dynamique changeante de la répétition. La simplicité est une apparence. C’est un appel à la mémoire et au souvenir. Les échos servent de métaphores au mouvement.

L’émotion pesante est palpable. Cela fait penser à un ciel gris souris. Les nuages lourds de vapeur d’eau se déplacent lentement et se métamorphosent au gré des courants d’altitude. On a l’impression de flotter. On se sent presque dépaysés mais jamais nous ne sommes égarés.

Ses morceaux grondent avec harmonie. C’est lumineux et austère, puissant et éclatant. Le son est matière. Nous sommes plongés dans un vertige, dans un paysage hypnotisant, une ivresse douce-amère. 

Les amas harmoniques produisent un bourdon latent et font penser à l’usage d’un thérémine.

L’ouïe partage des liens intrigants avec d’autres sens. Le son existe toujours pour quelque chose à qui veut bien prêter l’oreille.  On ressent dans le même intervalle une absence et une présence.

Au fil de l’écoute, Clarice Jensen donne l’impression d’accorder plus d’importance à la sonorité plutôt qu’à la composition.

L’approche pourra vous paraître légèrement déconcertante, inattendue. C’est à la fois grave et beau. C’est un autre rivage.

Déchirant à en pleurer.

 

L’album  » For This From That Will Be Filled   »

est composé de quatre morceaux : 

 

 

1- BC

par Clarice Jensen

en collaboration avec Jóhann Jóhannsson

2- Cello Constellations par Clarice Jensen

3- For This From That Will Be Filled (1ère partie) par Clarice Jensen

4- For This From That Will Be Filled (2e partie) par Clarice Jensen

 

 

 

Charlotte | Bokeh Me Not

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