Le retrait du monde

« Elles sont comme des fleurs  des chemins

au hasard du vent. » V. Brindeau

 

 

Chers lecteurs, les orages des dernières heures ici et là sont venus atténuer les températures pénibles des derniers jours. Le fond de l’air est  plus plaisant.  La quête de la fraîcheur se poursuit.

L’effleurer de la paume de la main, s’allonger et rêver, deviner ses notes herbacées, percevoir les fragrances boisées, anisées, balsamiques de son parfum révèlent des moments inspirants. Poser ses yeux et ressentir la douceur, la fraîcheur, ainsi, j’aime la contempler, l’observer, la photographier. M’approcher le plus près possible et découvrir un monde minuscule. Son habitat est varié.

Tapie dans l’ombre, à l’ombre le plus souvent, elle est l’ empreinte vivante des songes.

Tantôt moelleuse, tantôt duveteuse, élastique, souple, elle révèle les déambulations fabuleuses, les territoires mystérieux. Nombre d’auteurs la représentent dans les contes, les légendes, les histoires.  Elle est ce trait d’union entre le réel et l’imaginaire. Elle a la particularité de tapisser les souches des arbres, les racines, les vieux murs, les pavés, les cailloux, les roches érodées par les éléments.

Elles arrondit les angles des talus. Elle procure un effet apaisant quand on la remarque, quand on s’arrête et la repère. Elle sert de repose-tête aux marcheurs. Elle délasse la plante des pieds s’il vous prenait l’idée de marcher délicatement dessus. Elle ne fait pas de bruit. Elle sert de substrat aux autres plantes. Elle filtre l’air. Lorsque le ciel pleure, elle lui sert de mouchoir. Lorsque les gouttes de pluie dévalent les pentes, elle devient leur éponge.

Arrivée sur Terre,  bien avant les arbres,  bien avant les premières fougères, bien avant les fleurs, bien avant l’animal, bien avant nous. Bien avant, il y a trois cents millions d’années.

Cette espèce végétale est dépourvue de racines, de lignine. Elle est épiphyte c’est-à-dire à l’image des algues, des lichens, des champignons, elle pousse en se servant d’autres plantes. Ce n’est pas non plus un parasite. Sa structure est rhizomateuse, pourvue de minuscules feuilles, elle sert de base à ce qui constitue l’humus.


Bupleurum falcatum
« Un tel nom n’appartient qu’à la langue des botanistes, nul un frisson d’ombrelle n’y passe pour le rêveur ordinaire — bien qu’ombellifère soit le Bupleurum. » 

 

D’une culture à l’autre, son sort est tellement différent, antagoniste même.

Ainsi, en Occident, elle passe inaperçue, pire elle est ignorée, maltraitée, détestée. Les jardiniers ne l’aiment pas. Elle est décapée, grattée, arrachée, broyée, réduite en poussières, jetée. Elle est l’ennemi des pelouses. Tout est bon pour la voir disparaître. Les paysagistes et fleuristes au mieux s’en serviront pour cacher les armatures des compositions florales, murales. Les designers s’en serviront pour combler les vides.

Aux antipodes, d’autres jardiniers feront tout pour elle. Ainsi, au Japon, elle est vénérée, admirée, choyée. Dans les jardins des temples, au côté des cailloux ratissés, elle est minutieusement entretenue, peignée, brossée. Cette singularité végétale tient une place à part dans les jardins japonais, elle n’est pas un décor. Elle est autant un élément qu’un tout. Elle rythme le paysage permettant au regard de se poser, se reposer. Elle assure, contribue à une meilleure vision du monde, une idéalisation de la nature. Comme pour les nuages ou pour décrire la pluie, les japonais ont une multitude  de mots pour la raconter.

 » Leurs noms plein d’images emportent dans leurs sonorités mouvements et couleurs; ils dessinent la ligne élancée d’un cèdre, la vapeur d’un nuage, la retombée d’un saule; au pied d’un cerisier de montagne, sur un muret de pierre ou une souche morte, ils font surgir, comme une lampe d’Aladin, des pinceaux de calligraphes.  » V. Brindeau

Oscillant entre le brun terre-brûlé aux verts crus, un des tons de la couleur verte porte son nom : le « vert mousse ». Les teintes changent selon l’apport en humidité. Elle peut paraître desséchée, rabougrie, voire morte. Quelques gouttes de pluie, la voilà qui revit, se pare de belles teintes chlorophylles allant du vert tendre au vert anglais, du vert sapin au vert émeraude, du vert bouteille au vert citron, du vert olive au vert absinthe, du vert jade au vert phosphorescent.

L’eau, la pluie d’ailleurs sont très présentes dans les dessins plus beaux les uns que les autres de « Princesse Mononoké » produit par le  Studio Ghibli, réalisé par Hayao Miyazaki. Ce long-métrage d’animation japonais est un de ses chefs-d’oeuvre. Il n’est pas question ici de vous raconter l’histoire mais plutôt de faire appel à votre mémoire si vous l’avez  déjà vu ou de vous en souvenir lorsque vous le verrez.   Toutes les scènes de narration du film sont inspirées d’un endroit réel au Japon. La qualité graphique est à saluer tellement l’image vous transporte. Les dessins représentent la forêt de Yakushima au sud de Kyushu comptant plusieurs centaines de mousses rares qui recouvrent les lieux. Ces dessins comme autant de perles poétiques ponctuent l’intrigue. Ainsi, les séquences les plus lentes sont magnifiées par la beauté des dessins et procurent une ambiance onirique. La magie opère. 

Je ne saurai trop vous recommander également la lecture de ce livre. C’est une merveille. « Louanges des mousses » est  très beau  que j’aime lire, relire de temps à autre.  L’auteur en fait une description fine, belle. Il ne s’agit pas uniquement de la description de cette particularité botanique, c’est bien plus que cela. Il présente l’une des composantes des jardins japonais ainsi qu’une des portes d’entrée sur la philosophie zen. Ce livre invite au voyage, au recueillement, à l’apprentissage, à la contemplation, à la méditation. Il permet de voyager en pensées. II est de plus très bien écrit, accessible, agréable à lire. A lui seul, il permet d’appréhender, comprendre l’importance du minimalisme dans l’approche de l’esthétisme, de la sensibilité,  de la simplicité, de la sobriété qui caractérisent autant la beauté, l’espace, le temps,  au Japon.

 


Titre : Louange des mousses
Auteur : Véronique Brindeau
Date : 2014      
Éditeur : Philippe Piquier
Description : 1 vol. (109 p.) : ill., couv. ill. en coul. ; 16 cm

 » Les mousses naissent du temps, du temps et de l’ombre. »

 


 » Les mousses des toits fleurissent elles aussi et puis se dispersent.  »    Kobayashi Issa

 


  » Mousses d’un vert profond, la poussière du monde est loin.  »           Sen  no  Rikyu


 » Mousse verte étendue tel un manteau aux épaules des rochers, nuages blancs s’étirant là-bas, ceinture aux flancs des montagnes. « 


 » Le tapis de mousse qui donc l’aura tissé sans trame ni chaîne. »


En Islande, par temps de pluie, la mousse révèle sa teinte phosphorescente.

 

 

Charlotte | Bokeh Me Not

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