Magenta

On le dit Anglais, de Bourgogne, Bismarck, cardinal. Il peut être de Mars, de feu, de sang, de passion, de bonheur.

Il est tantôt amarante, bordeaux, brique, cerise, corail. Il lui arrive de virer à l’écarlate, façon fraise écrasée mais pas encore cramoisie. Il se pare de fushia ou de grenadine, en s’élevant d’un ton, il vire au prune, associé au pourpre, on obtient le grenat, incarnat, l’incarnadin, voire le nacarat. Plus fantaisiste il passe-velours, façon terracota. Soudain il tend au rose vif.

Par envolée florale, on le dit de capucine ou coquelicot, de garance. Façon crustacé, par mégarde sous un soleil de plomb, on se transforme en écrevisse. Version potagère, il est tomate. Oxyt il devient rouille. Du minéral cinabre, il devient vermillon. Métallique, il fait des merveilles en vermeil voire se pare de belles nuances en cuivre. Il prête sa teinte aux préparations alimentaires ou tinctoriale grâce à la cochenille. Ainsi il apparaît carmin, voire zinzolin. Précieux il est rubis. Cristallin il est groseille. Toutes ces désignations mettent en valeur les traits de personnalité de la couleur Rouge. Pourtant sa désignation  est née suite à l’invention d’une substance colorante de synthèse rouge vif tirant sur le violet, la fushine, employée dans les applications médicales. Le chimiste a repris l’allusion à la bataille et l’a nommé ainsi, Magenta. 

Il est la complémentaire du vert. On l’associe souvent au noir ou au blanc. Il se marie en fait avec toutes. Lorsque le rouge est employé seul, les yeux doivent d’abord s’accoutumer. On pourrait penser qu’une seule couleur puisse être ennuyeuse. Pourtant, l’expérience visuelle, sensorielle reste fascinante, inédite.

Et plus l’œuvre est grande, plus l’expérience est incroyable.  

Extrait d’un tableau présenté à la FIAC 2013

Souvenez-vous en 2011, Annish Kappoor présentait son Léviathan sous la Nef du Grand Palais à Paris. On entrait dans cet espace immense et nous avions devant les yeux une sorte d’immense cacahuète aubergine qui de par sa forme et taille imposante laissait les yeux du visiteur presque incrédule. Et pourtant cette sorte d’holothurie tout en rondeur avait un effet attachant, apaisant. Au pied de cette œuvre monumentale, il était impossible de l’appréhender en entier.  Les repères espace, temps étaient autre. Depuis l’escalier, cette structure gonflable devenait de plus en plus réelle.

Quel est le lien avec la couleur rouge ?

Le Léviathan ne s’arrêtait pas à ce ballon tripartite. L’originalité de l’œuvre était de la voir en rentrant à l’intérieur par un goulet étroit. Le visiteur était comme happé lentement par ce monstre. A l’intérieur, l’atmosphère était sourde, pesante presque oppressante. Les voix résonnaient. La luminosité était insuffisante. La suffocation était proche. Le regard quant à lui était retenu et absorbé par la couleur rouge foncé éclairé de l’extérieur par la lumière qui traversait la verrière. On avait l’impression d’avoir pénétré dans un organe vivant où tout était rouge. La dimension était tout autre, dans un autre monde empreint de mystère. Une œuvre, deux mondes s’opposaient, l’un monumental tandis que l’autre plus exigüe, plus obscur.

Au coeur du Léviathan – Annish Kapoor – Monumenta 

D’autres artistes ont consacré une partie de leur œuvre à cette seule teinte primaire révélant toute la singularité des matières utilisées.

Ainsi, il y a quelques mois, le temps d’une escale à la Galerie Templon, Chiharu Shiota a embarqué les visiteurs dans un voyage vivifiant dédié à une nuance rouge  tangerine. La couleur bien que monochrome sublimait les maillages tissés fil à fil, à la main, par l’artiste japonaise. On se serait cru au coeur d’une poésie vaporeuse. Ce voyage stimule l’imaginaire.  L’expérience était incroyable. Le fait de flâner en se promenant autour et sous cette œuvre avait quelque chose d’apaisant et revigorant.

Between the lines – Chiharu Shiota 

 

Charlotte | Bokeh Me Not

Merci de ne pas utiliser le contenu de ce blog – textes et/ou photographies – sans ma permission et sans en indiquer la source https://bokehmenot.fr/