La tige de la fleur de lotus

Il n’y a pas si longtemps, c’était l’équinoxe, la durée du jour égale à celle de la nuit. Cette étape annonce la venue de l’automne. Cette saison est particulière, la durée de l’ensoleillement diminue jusqu’au solstice d’hiver. Elle se fait remarquer par la descente de la sève vers les racines dans le monde végétal. Les arbres voient leurs feuillages passer des teintes  chlorophylles  à toutes les nuances de jaunes, d’ocres, de carmins.

Cette saison est un temps d’introspection profond, les grands et petits animaux se mettent à l’abri dans  le creux des arbres, dans les cavités rocheuses, dans les tanières sous la terre et se mettent en pause.

Cette saison marque pour nous autres humains un moment de repli sur nous-mêmes, en nous mettant dans notre bulle. Nous cherchons à nous envelopper dans un cocon réconfortant, sécurisant en étant auprès des personnes qui nous sont importantes, auxquelles on tient.

Cela fait un long moment, chers lecteurs que je souhaite vous faire découvrir son univers singulier.  Hatis Noit (ハチスノイト) a étudié le ballet, le théâtre, le koto, le gagaku (musique de cour traditionnelle japonaise). Son nom signifie « la tige de la fleur de lotus ».

Dans le langage des fleurs, le lotus représente le monde vivant, tandis que sa racine représente le monde des esprits. Hatis Noit lie les deux. Elle exprime ce que la nature nous propose à entendre. 

 » Le lotus symbolise la simultanéité de la cause et de l’effet au sein de l’existence. La fleur de lotus est l’un des symboles les plus anciens et aspire à la plus grande pureté. C’est la seule plante aquatique pouvant émerger de la noirceur de la vase pour s’épanouir et se dresser hors de l’eau pour donner une fleur d’une beauté incroyable. Le lotus représente l’élévation de l’âme. « 

Découverte il y a quelques années alors qu’elle faisait partie de la formation du groupe de post-rock japonais « Mutyumu » dont il sera question à un autre moment.  En post-rock, les  interventions chantées sont particulièrement rares. Déjà son timbre éthéré retient l’attention sur le morceau « 楽園 » or « Rakuen » signifiant « Paradis ».

Puis le morceau « Illogical Lullaby » l’a fait davantage connaître en tant que soliste : 

Passé le cap étonnant, strident, déconcertant. L’artiste japonaise nous lie à l’essentiel, à la Terre dans ce qu’il y a de plus primitif.

Le premier instrument de musique demeure la voix. Elle murmure et ne crie pas. Elle fait appel à ce qu’il y a de plus originel en nous.

Ses influences sont plurielles. Elle puise ses inspirations tant dans le chant lyrique que le chant diphonique. La polyphonie des chants mongols, inuits, tibétains n’est jamais loin.

Au delà de ne pas comprendre la langue japonaise, elle donne l’impression de proposer un chant composé d’onomatopées. Ce n’est pas tant le sens qui importe mais l’effet qu’il procure.  L’expérimentation de toute la palette vocale est ample, impermanente. 

Elle invente des liens entre le réel et l’imaginaire, entre la terre et le ciel, entre la cime des arbres et ses racines, entre le passé et le présent, entre le présent et l’à venir. 

Chaque piste chantée par elle-même se superpose et produit une texture terrienne, cristalline, aérienne.  Les  compositions sont singulières et semblent faire écho à tout ce qu’il y a de plus rude, authentique,  de plus ancestral. Elle est autant capable de produire des sonorités très basses que très aiguës. Virtuose, sa gamme sonore est immense.  

L’écouter est une expérience hors du temps. Elle nous donne l’impression d’être le porte-voix des peuples lointains pour lesquels la tradition orale tient une place essentielle. Elle nous donne l’impression d’être une passerelle, que ces derniers ont un message à nous transmettre. Ses compositions font appel à nos sens. L’écouter est introspectif autant que méditatif.  

Les sons paraissent sauvages, rêches, poétiques, sourds, dramatiques, uniques. 

Expressifs, mystiques, son timbre et son chant sont ce fil d’Ariane qui nous relie à la Terre, au plus profond de nous-mêmes.

L’assemblage de ces fragments chantés donne une autre composition. Tout se mélange. Ainsi la voix d’opéra prend le dessus sur le chant diphonique. Parfois, c’est l’inverse. L’oreille ne cherche plus à distinguer ce qu’elle entend. Passé le cap de la particularité sonore, on se laisse porter et surprendre. Si le frisson était une émotion, si le murmure avait un secret à nous révéler, ils pourraient être ce que l’artiste japonaise nous propose.

« Le chant diphonique est une technique vocale permettant à une personne de produire un timbre vocal caractérisé par deux notes de fréquences différentes ». La résonance naît en  combinant les sons de gorge, de bourdon, les harmoniques.

Le rendu organique nous hypnotise autant qu’il nous saisit. Son chant, sa voix activent, stimulent notre imaginaire. Son répertoire est un hymne puissant et secret à la vie.

Les températures encore douces des derniers jours font que les arbres prennent leur temps pour se préparer aux premiers frimas.

La Nature se prépare à hiberner, à sommeiller, à se reposer. La sève amorce sa descente vers les racines. Ce cycle naturel lié à la saison automnale de repli sur soi est de nouveau chamboulé par la situation que nous connaissons. Pour la seconde fois, nous autres sommes  à nouveau assignés à résidence. Cette période complexe, compliquée nous astreint, nous contraint à économiser nos ressources, notre énergie vitale, à vivre au ralenti. 

Dans ces temps troublés, subis, où le paysage immédiat s’apparente à la dorsale d’une dépression s’apprêtant à nous livrer un front de pluies, où déjà l’approche d’un cunimbe gronde, puissions-nous être cette tige de fleur de lotus en faisant appel à notre foi intérieure, à nos ressources que chacun-e a enfoui au plus profond d’elle et de lui-même. Puissions-nous nous imprégner par l’écoute de ce chant singulier, beau, brut proposé a cappella  par l’artiste japonaise Hatis Noit.

L’horizon est à portée d’oreilles. La pluie laisse place au beau temps, frais et doux. Si une fleur peut naître de la boue, nous pouvons nous relever, percevoir, ressentir, faire vivre cet éclat chaleureux dans l’interstice obscur de la nuit.

 

 

 

 

 

Charlotte | Bokeh Me Not

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