Ici commence l’histoire

Il y a bien des choses, des objets que l’on pose, que l’on range, que l’on trie, que l’on empile, que l’on déplace, replace, remplace, retire, ajoute sur les étagères de nos intérieurs. 

Les livres font-ils partie de ces objets ?

L’atmosphère des librairies, des bibliothèques me plaît. Plus jeune, parmi les domaines qui m’intéressaient, le monde de l’édition m’attirait. L’ intérêt pour les livres est resté. J’aime les livres, les carnets, les recueils, les livrets, les écrits en un, en plusieurs volumes, illustrés ou non, le papier qui a été  choisi, la texture des pages (fines, épaisses, glacées, transparentes), la façon dont l’ouvrage a été relié, assemblé, la typographie utilisée. L’aspect de la couverture est important, celui du dos également. Un livre est un objet précieux dont il faut prendre soin. Il est utile. Il sert à faire voyager, rêver, penser, imaginer, découvrir, explorer, transmettre, apprendre.  

Le livre est un support d’une œuvre de l’esprit, et n’est pas un objet comme un autre.

Ici commence l’histoire sur un site dédié aux illustrateurs et dessinateurs. Il était question de Walter Moers, un auteur et illustrateur allemand de bandes dessinées, et de livres fantastiques illustrés. En lisant les commentaires puis les premières lignes de l’ouvrage, j’avais envie, à mon tour de me le procurer d’urgence. 

Je me suis dit, j’irai en librairie et s’il n’est pas en rayon, je le commanderai.

Les événements ne se sont pas tout à fait déroulés aussi facilement. Il faut dire que, ce livre se mérite telle une chasse au trésor. 

Au gré des déambulations parisiennes, chaque fois que j’entrais dans une Nième librairie d’occasion, à la question  : Avez-vous CE livre :… , la réponse était négative. Jusqu’au jour, où je me suis rendue chez Gibert Joseph boulevard Saint-Michel pour tout à fait autre chose. Un vendeur s’adresse à moi et me dit : « Bonjour, pouvons-nous vous aider ? Parmi mes recherches du moment, j’ai pensé à poser cette fameuse question. Et de répondre, Bonjour, oui vous pouvez peut-être.. : Je recherche depuis longtemps  CE livre….. A tout hasard, l’avez-vous ? «  Il consulte le fonds. Et rien. Déçue. Il ajoute, si vous le souhaitez, laissez-nous vos coordonnées, si jamais une personne le remet en vente, vous serez immédiatement prévenue et s’il vous intéresse toujours, il sera pour vous ! Après tout, pourquoi ne pas procéder ainsi. Cela revient à jeter une bouteille à la mer avec un message à l’intérieur. Personnellement, je n’ai jamais essayé. Le message enfermé dans la bouteille de verre, porté par les flots et les courants fini bien par arriver. 

Les semaines passent.

Puis, j’ai décidé de l’emprunter en bibliothèque. L’année dernière, donc, au moment de sa découverte, j’ai consulté le catalogue en ligne des bibliothèques de la ville de Paris, cinq exemplaires étaient répertoriés. Cependant, tous étaient réservés. Un  seul exemplaire était disponible. Alors, je me suis rendue à la bibliothèque du 13e arrondissement, proche de la Place d’Italie, m’apprêtant à entrer, j’ai trouvé portes closes, lumière éteinte. J’ai cru m’être trompée dans les horaires.

Sur la porte : un panneau mentionnait ceci :

«  La bibliothèque est fermée jusqu’à nouvel ordre. Nous avons subi une inondation. »

Décidément !

De temps en temps, je consultais le catalogue, et CE livre était toujours en pension chez les bibliophiles. Tant pis.

Les mois passent.

Je l’avais presque oublié lorsqu’un samedi matin, dix mois plus tard, je reçois un message de la librairie Gibert Joseph :  » Bonjour, le livre :  » … «  a été déposé hier soir par un lecteur qui n’en voulait plus. Il est réservé à votre nom pendant sept jours. Au delà, si vous ne vous êtes pas manifestée, il sera remis en rayon.  Il m’a fallu laisser passer le weekend et me rendre dès le lundi pour aller chercher l’ouvrage. En me présentant, on m’indique le rayon concerné. Une personne part en réserve un long moment. J’attends. Elle revient et me dit : « Je suis désolée, mais je ne l’ai pas trouvé ! » Je lui montre la notification. Elle ajoute :  » est-ce une commande de livre neuf ? «   « Ha non pas du tout, c’est un livre d’occasion. » Elle repart. Je patiente. Les minutes me semblent interminables. Elle revient et me dit, « il n’était pas rangé au même endroit. Le voilà. Si vous le voulez, il est à vous. Le prix de vente est indiqué ici. » Je le feuillette. Pour un livre d’occasion, il est en parfait état. Le prix quant à lui est tout à fait correct. Enfin, je l’ai trouvé et je suis ravie.

« Ici commence l’histoire. Elle raconte comment je suis entré en possession du Livre (…). Cette histoire n’est pas destinée aux lecteurs au cuir tendre et aux nerfs fragiles – à qui je recommande d’emblée de reposer cet ouvrage. (…).  Seul celui qui est prêt à accepter de me lire, de mettre sa vie en jeu pour avoir sa part de mon histoire doit me suivre jusqu’au prochain paragraphe. (…) Mais ne perdons pas plus de temps et entamons notre périple. Car il s’agit bien d’un voyage qui nous mènera à Bouquinbourg, la Cité des livres qui rêvent.« 

© Walter Moers

Le récit d’Hildegunst Taillemythes, jeune dragon et poète de soixante-dix-sept printemps  vit en Zamonie. Par nature, tous les dragons de la Citadelle des Dragons sont écrivains, et dès leur plus jeune âge, leur éducation est confiée à un parrain en écriture. Il aspire à devenir le plus grand écrivain du pays. Dancelot de Tournerimes, son parrain en écriture, lui fait don sur son lit de mort du manuscrit « parfait ». Bouleversé par sa lecture, Hildegunst décide de retrouver son auteur et se rend pour cela à Bouquinbourg, ville où les habitants vivent pour et par les livres. Il bravera tous les dangers des catacombes de Bouquimbourg, hantées par le Roi des Ombres pour retrouver l’auteur. C’est là que l’histoire commence…  

Il est vrai que l’histoire et les illustrations peuvent faire penser que ce roman est destiné avant tout aux adolescents. C’est d’ailleurs pour cela que vous le trouverez au rayon « Jeunesse ».  Bien entendu, il leur est  destiné. Ce livre est une pure merveille. Il comporte plusieurs niveaux de lecture. Les plus jeunes se délecteront des aventures plus folles les unes que les autres, de la quête labyrinthique.


Cependant, la densité de l’histoire et le style  soutenu de l’auteur passionnent les adultes. Le texte est superbe ainsi que les illustrations. 

La Cité des livres qui rêvent est une ode à l’écrivain, à l’écriture, à la lecture, au livre en tant qu’objet. Un livre qui fait aimer les livres. Il est destiné aux amoureux des livres. 

Quand le héros entre, c’est comme s’il ouvrait la porte d’une librairie géante. A peine êtes-vous aspiré dans cette ville passionnante où tout tourne autour du livre, essentiellement de librairies et de maisons d’édition anciennes.  Ce livre s’adresse à quiconque aime lire ou s’intéresse au monde de l’édition, à la critique littéraire, au processus de l’écriture. L’auteur livre une formidable réflexion sur le marché du livre et la situation d’écrivain.

L’univers prolifique de Walter Moers est incroyablement construit. Les lieux, les personnages, les descriptions, les intrigues sont une source d’émerveillement  et de créativité permanents. Les idées fourmillent, grouillent, abondent. L’ensemble est bien écrit et les illustrations sont convaincantes. Elles aussi tiennent un rôle et contribuent au rythme effréné et passionnant de l’auteur. La typographie n’est pas en reste. Elle participe à la dynamique de la lecture.  Les protagonistes sont sympathiques, amusants, épiques, drôles. L’intrigue est ébouriffante. Vous rencontrerez dans ce roman fantastique, onirique, horrifique des chasseurs de livres, des livres dangereux, le roi des Ombres, des Rongelivres, des cyclopes, des gnomes rouillés…  Se mêlent des passages d’un emballement démesuré, de l’humour, de la gravité associée à  l’inventivité des mots. 

Voici un autre extrait :

«  J’ai découvert ma vraie nature : je suis un Effroyable Rongelivre, et c’est normal que ça fasse grossir ! Je pense parfois que nous sommes les seuls à vraiment profiter de la littérature (…). Les autres ne font que travailler avec les livres. Ils doivent les écrire. Lire. Editer. Imprimer. Vendre. Brader. Etudier. Recenser. Travailler. Nous, par contre, nous n’avons qu’une chose à faire : lire. Bouquiner. Y prendre du plaisir. Avaler un livre – ça, nous savons faire. Je ne voudrais pas échanger ma place avec celle d’un écrivain. « 

© Walter Moers

Malheureusement, cet étonnant ouvrage n’est plus publié. Ce qui serait merveilleux c’est qu’il puisse être ré-édité. A votre tour, si  vous aimez les livres, les mondes fantastiques, les textes bien écrits ou bien si vous  êtes curieux, lisez-le, vous ne le regretterez pas.  Si vous le trouvez, gardez-le précieusement. Ce livre est un chef d’oeuvre, un véritable trésor. 

Tentez votre chance en librairie d’occasion, rendez-vous en bibliothèque, empruntez-le et partez à la découverte de :

La Cité des Livres qui Rêvent

Titre :  La cité des livres qui rêvent  : un roman de Zamonie par Hildegunst Taillemythes / traduit du zamonien et illustré par Walter Moers / traduit de l’allemand par François Mathieu et Dominique Taffin-Jouhaud, les grandes personnes.

Auteur : Walter Moers

Date : 2006      

Editeur : Panama

Description : 1 vol. (455 p.) : ill., couv. ill. en coul. ; 25 cm

Titre original :  Die Stadt der träumenden Bücher

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Bibliothèques de la ville de Paris : catalogue

Charlotte | Bokeh Me Not

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